Le sculpteur Charles Gadenne, créateur de la statue, devenue un des emblêmes du lycée, est décédé lundi 23 janvier dernier à Saint-Pol.
Peu parmi nous, sans doute, associent son nom à cette sculpture qui fait partie de notre quotidien ; et il serait aisé de croire, au vu du nombre de personnes qui la croisent lors des trajets d'une salle de cours à une autre qu'elle nous est devenue indifférente.
Il n'en est rien, et j'aimerai ici, redire les multiples visages de ce corps qui, pourtant n'a ni tête, ni bras.
Au premier regard elle est nue. Que peut bien faire là cette représentation du corps au sein d'une institution garante de l'enseignement et de l'éducation ? A mes yeux, elle est moins nue que dénudée ; comme démunie de tous ces artifices dont les médias parent les corps séduisants.
Elle n'a pas de tête, ni de bras ; mais nous voudrions que ce soit qu'elle n'en ait plus, comme toutes ces Venus et ces Victoires que l'antiquité nous a livré avec le mystère de leur splendeur passée.
Oeuvre du passé ? Que non ! Elle est autant la compagne de L'homme qui marche de Rodin que The spirit of Ecstasy de notre lycée ; et nous pourrions l'associer alors à une certaine idée du déplacement.
Comment une oeuvre en bronze pourrait-elle bien marcher ? Regardons un instant plus attentivement ses pieds et l'élancement de son corps. Un pied commence à devancer l'autre ; et dans l'angle ouvert qu'ils proposent comment ne pas voir ce qui nous fait quitter l'assurance de la pose pour le pas ? Prête à s'élancer, elle pourrait en paraître presque fragile du haut de sa butte pavée.
Fragile ? Ce serait oublier le crevassement de sa peau qui, associé au vert de la patine du bronze, nous évoque la rudesse d'un tronc d'arbre! Avez-vous déjà touché, caressé un arbre, puisé quelque chose de sa force?
Tout à coup, ce corps lourd semble parcouru de flux vitaux : sa surface frémissante conserve les traces émouvantes des doigts de l'artiste, puis ses pieds paraissent puiser profondément dans le sol comme autant de racines invisibles qui soulèvent le pavage. Enfin, l'amorce de ses bras semble se tendre vers la lumière solaire de la baie qui surplombe la statue, moderne Daphné devenue axis mundi.
Les professeurs passent respectueusement à distance, contournant le sol devenu socle ; parfois certains élèves la frôlent, au plus proche d'elle, comparant l'espace d'un instant leur stature adolescente à la sienne plus grande que nature. D'autres, l'habillent, la mettent en scène de manière ephémère comme une personne familière. D'autres encore, font mine de ne plus la voir, tout empressés d'attraper leur bus et de ne pas rater le flux de leur quotidien ; alors qu'elle, demeure.
Il faut encore prendre le temps de la redécouvrir certains matins, quand le soleil levant vient s'aligner dans l'axe de notre rue intérieure. Elle prend là les allures d'une personne bienveillante, accueillant le flot des ces jeunes gens qui vont et viennent sans se douter de tout le sentiment de vie qu'elle capte et redistribue.
Il me plaît alors d'imaginer comme Marcel Carné à la fin de son film Les visiteurs du soir que les statues ont un coeur que l'on ne peut arrêter de battre.
M. Trotignon,
professeur d'arts plastiques.